Le montant des amendes prononcées par les autorités de concurrence atteint désormais des records. A l’occasion de son rapport d’activité pour l’exercice 2014, l’Autorité française de la concurrence a annoncé avoir infligé plus d’un milliard d’euro d’amendes l’an dernier. Le sort des victimes des pratiques anticoncurrentielles est moins enviable. Une étude statistique menée sur la base de jurisprudence LawLex montre que la probabilité de succès d’une action en réparation du préjudice subi par les victimes dépasse à peine 50 % et que même dans ce cas, les juridictions n’octroient en moyenne que 6,5 % du montant demandé.

Il existe en réalité en Europe un grand écart entre la volonté affichée par les autorités de protéger les victimes de pratiques anticoncurrentielles et les garanties réelles dont elles bénéficient en droit positif. Les autorités font l’éloge du private enforcement mais craignent en même temps la concurrence des actions des victimes en multipliant les outils de protection des actions étatiques de public enforcement qui rendent les actions privées très difficiles à mettre en œuvre. La directive 2014-104 du 26 novembre 2014 (JOUE, L 349 du 5 déc. 2014) qui devra être transposée en droit français avant le 27 décembre 2016, assouplira en partie les obstacles auxquels se heurtent les victimes. Elle facilitera par exemple leur accès aux preuves en leur permettant d’obtenir plus facilement des injonctions de produire celles-ci, rendra plus aisée l’estimation du préjudice subi et facilitera les règlements négociés. Néanmoins, les entreprises coupables d’infractions qui ont profité des programmes de clémence demeureront excessivement protégées contre les actions des victimes : les déclarations effectuées en vue de la clémence et les propositions de transaction échapperont au droit d’accès. De plus, alors qu’en principe, les entreprises qui ont enfreint le droit de la concurrence par un comportement conjoint seront solidairement responsables du préjudice, les bénéficiaires d’une immunité ne le seront qu’à l’égard de leurs acheteurs ou fournisseurs directs ou indirects.

Les entreprises victimes et leur conseil prépareront et mettront en œuvre efficacement leurs dossiers afin d’éviter tous les écueils que le droit sème au travers de leur route, tant sur le plan de la procédure qu’au fond.

I. Sur la procédure

1. Eviter les erreurs de compétence.

En France, seuls huit tribunaux spécialisés sont compétents pour accorder des dommages-intérêts en matière de concurrence. Le juge doit même relever d’office cette règle d’ordre public et cette fin de non-recevoir.

2. Respecter les clauses de conciliation préalable.

Beaucoup de contrats prévoient des règles de conciliation préalable obligatoire avec des mécanismes d’escalation (impliquant la saisine d’organes de conciliation successifs) complexes. Leur non-respect rend désormais l’action irrecevable (V. en matière de pratiques restrictives, Paris, 18 juin 2015, LawLex20150000810JBJ) et la procédure de conciliation ne peut pas être régularisée en cours d’instance.

3. Eviter l’action de groupe en matière de concurrence.

L’action de groupe ouverte depuis la loi Hamon aux associations de consommateurs pour la réparation du préjudice subi par les consommateurs n’est pas très efficiente s’agissant des infractions au droit de la concurrence. Elle implique d’avoir obtenu une décision définitive sur la constatation de l’infraction (C. consom., art. L. 423-17), ce qui, compte tenu des délais devant les autorités de concurrence et des recours, retarde excessivement la procédure d’indemnisation.

4. Etre vigilant quant à la prescription de l’action.

Ramenée à  5 ans, la durée de la prescription ne commence à courir qu’à compter de la connaissance de l’infraction au droit de la concurrence. L’entreprise victime ne tardera pas à agir afin d’éviter de se voir opposer une exception de prescription.

5. Opter pour l’action directe devant les tribunaux ou pour le follow on en fonction de chaque dossier.

Lorsque les infractions sont complexes et les preuves difficiles à rassembler, on suscitera plutôt une instruction par les autorités de concurrence. Lorsque l’infraction est avérée, on saisira immédiatement le juge de l’indemnisation pour gagner du temps.

II. Sur le fond

6. Bâtir un dossier solide pour établir la faute, le préjudice et le lien de causalité.

Le dossier d’indemnisation d’une pratique anticoncurrentielle se révèle toujours difficile à constituer. Le défendeur contestera tous les éléments du dossier. Le demandeur démontrera donc avec rigueur chaque élément de la responsabilité et produira un ou plusieurs rapports économiques de nature à établir la faute et la réalité du préjudice lié aux infractions. Une faute de concurrence n’entraîne pas nécessairement un surcoût (Cass. crim., 27 févr. 2013, LawLex20130000273JBJ).

7. Rassembler les preuves des pratiques anticoncurrentielles.

L’obtention des preuves constitue un exercice difficile. La décision administrative de condamnation de l’entente est souvent très laconique, surtout en présence d’entreprises qui ont obtenu la clémence. Il faudra se battre pied à pied pour obtenir du juge la production forcée des éléments de l’entente ou l’autorisation de les produire soi-même (Paris, 24 sept. 2014, LawLex20140000991JBJ) car, à défaut, l’action en indemnisation risque de tourner court.

8. Eviter de se voir opposer une faute.

L’entreprise se montrera très vigilante dans son comportement pour éviter de se voir opposer d’avoir favorisé le comportement anticoncurrentiel ou d’être partiellement à l’origine du dommage invoqué en raison de carences commerciales (T. com. Paris, 30 mars 2015, LawLex20150000456JBJ).

9. Anticiper les moyens de défense de l’adversaire, en particulier la défense de répercussion des surcoûts.

Il ne suffit pas de lancer l’action, il faut anticiper les moyens de défense du défendeur. Celui-ci soutiendra en particulier que la victime a répercuté les surcoûts liés à la pratique anticoncurrentielle sur ses propres clients (Cass. com., 15 juin 2010, LawLex20100000743JBJ ; Paris, 27 avr. 2014, LawLex201400001579JBJ). Là encore, une étude économique s’avérera souvent utile pour réfuter cet argument.