L’Autorité sanctionne quatre ententes dans le secteur des produits préfabriqués en béton

Onze entreprises ont été sanctionnées par l’Autorité de la concurrence pour leur participation à quatre ententes dans le secteur des produits préfabriqués en béton.

Les pratiques en cause ont été révélées par une enquête pénale, sous le contrôle d’un juge d’instruction, à la suite d’un signalement de la rapporteure générale de l’Autorité de la concurrence, sur le fondement de l’article 40 du Code de procédure pénale. Le juge d’instruction a ordonné la mise en place d’écoutes téléphoniques et de perquisitions dans les locaux de plusieurs sociétés ainsi que dans un hôtel de Roissy où se tenait une réunion entre des représentants de plusieurs sociétés impliquées dans les pratiques, les pièces du dossier pénal en lien direct avec les faits mentionnés dans le cadre de sa saisine ayant été communiquées à l’Autorité. A la suite de ces perquisitions, deux entreprises ont adressé à celle-ci des demandes de clémence, qui ont conduit l’Autorité à se saisir d’office des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits préfabriqués en béton.

A l’issue de la procédure d’instruction et sur le fondement des pièces issues de l’enquête pénale, des déclarations et des pièces versées par les demandeurs de clémence, quatre ententes ont finalement été sanctionnées. L’Autorité estime que les entreprises se sont livrées à des pratiques anticoncurrentielles pendant une période allant de sept à dix ans, selon les griefs retenus. Elle précise cependant que les pratiques étaient ancrées dans le mode de fonctionnement du secteur, à tel point que certaines entreprises ayant pris part aux pratiques ont admis avoir « perdu de vue » le caractère illégal des pratiques et ainsi être dans l’impossibilité de dater le début des pratiques.

Les ententes sanctionnées

La première entente concernait les éléments préfabriqués en béton vendus aux entreprises de construction. Il s’agissait d’une entente nationale entre les entreprises KP1, Rector, et SEAC, permettant à ces dernières de fixer ensemble les prix de vente des produits préfabriqués en béton et de se répartir les volumes de chantiers en faussant la concurrence lors des procédures d’appels d’offres lancées par les entreprises de construction.

La concertation résultait notamment de réunions secrètes organisées dans le cadre de différents groupements, avec un système de « tours de table », au cours desquelles les parties s’échangeaient des informations relatives aux volumes de ventes réalisées auprès des entreprises de construction au niveau national et par région, et fixaient les quotas de vente à respecter par région. Ces échanges étaient ensuite synthétisés par les directions nationales des différentes entreprises dans des tableaux, puis transmis aux échelons régionaux. Si les pratiques ont été mises en œuvre sur la majeure partie du territoire français, les modalités ont pu varier selon les régions. Par ailleurs, l’Autorité a constaté qu’outre ces réunions, les parties avaient procédé à des échanges bilatéraux, notamment par téléphone, qui leur permettaient de s’assurer du respect, par chacun, des accords conclus lors des tours de tables.

La deuxième entente concernait les éléments préfabriqués en béton vendus aux constructeurs de maisons individuelles et aux négoces. KP1 et Rector ont mis en œuvre au niveau national pendant sept ans une entente relative aux taux de hausse des tarifs applicables aux négoces et aux constructeurs de maisons individuelles. Les deux sociétés se sont également entendues sur les prix nets et certaines conditions commerciales accordées aux négoces, sur les volumes des ventes aux négoces, ainsi que sur la répercussion des hausses de tarifs sur les prix pratiqués auprès des constructeurs de maisons individuelles.

La troisième entente concernait les chantiers de charpentes en béton. KP1, Eurobéton France et Strudal se sont échangé des informations sensibles sur les prix, dans le cadre d’appels d’offres, entre 2011 et 2018, avec une pause entre 2013 et 2016.

Enfin, la quatrième entente était caractérisée par la conclusion de plusieurs accords en 2010 entre KP1 et la Société de Préfabrication de Landaul (SPL), comportant notamment l’acquisition par KP1 de 10 % du capital de SPL et des contrats de fourniture et d’approvisionnement, de prestation de services techniques et de transport et d’assistance technique. L’Autorité a constaté d’une part que ces contrats comportaient une clause d’exclusivité des produits de SPL au bénéfice de KP1, ainsi qu’une une clause de non-débauchage, qui limitait la liberté commerciale des parties, et, d’autre part, que les parties échangeaient régulièrement afin de déterminer le prix de leurs prestations et de se répartir les clients s’agissant de la commercialisation de prémurs fabriqués par SPL. L’Autorité a considéré que ces clauses contractuelles et ces échanges constituaient une pratique anticoncurrentielle, contraire à l’article L. 420-1 du code de commerce, en ce qu’ils leur ont permis de décider en commun de tous les aspects de la vie économique de SPL.

Qualifiant l’ensemble de ces pratiques de restriction par objet, l’Autorité a prononcé une sanction globale de 76 645 000 euros, répartie entre onze entreprises, qui prend en considération l’octroi à KP1 et à Rector d’une réduction d’amende au titre de la clémence et l’infliction d’une amende supplémentaire à la société Eurobéton France d’un montant de 75 000 euros pour obstruction à l’instruction. Cette dernière avait en effet fourni, en réponse à une demande d’information des services d’instruction, une information erronée qu’elle n’a corrigée qu’après l’envoi de la notification des griefs.

Un non-lieu prononcé à l’encontre de FIDAL

Ces onze entreprises n’étaient toutefois pas les seules mises en cause par l’Autorité. Les services d’instruction soupçonnaient également le cabinet d’avocats FIDAL d’avoir joué un rôle de facilitateur d’entente. Il lui était notamment reproché d’avoir dispensé une formation sur le droit de la concurrence aux membres de la Fédération de l’Industrie et du Béton (FIB) durant laquelle FIDAL aurait délivré des conseils pour dissimuler les preuves de comportements anticoncurrentiels.

Si cette présentation a bien fourni des conseils sur la dissimulation des moyens de preuve de comportements potentiellement anticoncurrentiels, l’Autorité conclut toutefois que cet indice ne permet pas à lui seul de démontrer que FIDAL avait connaissance de l’existence d’une entente entre des entreprises membres de la FIB et ainsi de caractériser une pratique de facilitation d’entente ou d’obstruction à la détection de pratiques anticoncurrentielles de la part de FIDAL.

Par ailleurs, la formation en question s’étant déroulée en 2007, l’Autorité ne pouvait, en tout état de cause, sanctionner une éventuelle pratique anticoncurrentielle, en raison de la prescription décennale.


L’utilisation contestable de la procédure pénale

La procédure utilisée par l’Autorité dans cette affaire a fait l’objet d’importantes contestations par les entreprises mises en cause. D’une part, ces dernières estimaient que l’utilisation de l’article 40 du Code de procédure pénale, par préférence à la procédure prévue à l’article L. 450-4 du Code de commerce, constituait un détournement de procédure, l’Autorité ayant procédé au signalement dans l’unique but de pouvoir bénéficier des pouvoirs d’enquête étendus du juge pénal.

Pour enclencher la procédure pénale sur le fondement de l’article L. 420-6 du Code de commerce et procéder à un signalement en application de l’article 40 du Code de procédure pénale, l’Autorité faisait valoir l’impossibilité de recueillir les éléments nécessaires à la détection de pratiques anticoncurrentielles en raison du caractère anonyme des témoignages transmis par la BIEC. Les entreprises avançaient que le signalement par l’Autorité d’une possible infraction mentionnée l’article L. 420-6 du Code de commerce suppose au préalable de constater une violation des articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-2-2 du Code de commerce. L’Autorité écarte cet argument au motif qu’en vertu de l’indépendance des procédures administrative et pénale, le juge pénal est pleinement compétent pour apprécier les éléments constitutifs du délit de l’article L. 420-6 du Code de commerce, sans dépendre d’une décision préalable de l’Autorité.

Les entreprises faisaient, également, valoir une violation du droit à un recours effectif, dans la mesure où la procédure pénale, offrant moins de garanties que la procédure administrative, ne leur permettait ni de contester la validité des pièces saisies, ni d’accéder au dossier. Elles soutenaient, par ailleurs, que le défaut de recours des personnes morales contre la transmission du dossier pénal sur le fondement de l’article L. 463-5 du Code de commerce, constitue une violation des articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et Libertés Fondamentales.

Selon l’Autorité, l’absence de recours autonome contre l’obtention d’une pièce ne prive pas pour autant les entreprises mises en cause de leur droit à un recours effectif, qu’elles pourront exercer au stade du contrôle de légalité de la décision. S’agissant de la transmission à l’Autorité par le juge pénal de l’entier dossier pénal, auquel les parties n’ont jamais eu accès, l’Autorité considère qu’elle ne saurait revenir sur la décision du juge pénal, seul compétent pour décider de l’étendue d’une telle transmission. Elle ajoute que les services d’instruction sont en droit d’exploiter le dossier transmis par le juge répressif avant la fin de l’instruction pénale, dès lors que l’article L. 463-5 du Code de commerce ne leur prescrit pas d’attendre la clôture de l’instruction pénale pour en prendre connaissance et que la procédure pénale et la procédure administrative sont indépendantes.

Un nouvel exemple de l’application rétroactive du communiqué sanctions

Avec cette décision, l’Autorité a également saisi l’opportunité de réaffirmer l’application rétroactive du communiqué sanctions.

Comme le faisaient valoir, à raison, les entreprises mises en cause, la nouvelle version du communiqué du 30 juillet 2021 prévoit pour le calcul des sanctions des changements de méthode susceptibles d’affecter substantiellement à la hausse le montant des sanctions encourues, notamment un « droit d’entrée » ou « ticket d’entrée » additionnel de 15 % à 25 % de la valeur des ventes, ou encore la prise en compte de la durée de l’infraction avec un coefficient du durée supérieur à celui de l’ancien communiqué.

Or, il est de jurisprudence constante (TUE, 27 mars 2014, LawLex201400001752JBJ) qu’une interprétation jurisprudentielle dont le résultat n’était pas raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise ne peut s’appliquer rétroactivement. En l’espèce, ces modifications, qui n’avaient pas été évoquées lors de la réforme du droit de la concurrence par la loi DDADUE, n’étaient en rien prévisibles au moment de la commission des infractions. L’application que l’Autorité fait de son nouveau communiqué sanctions apparaît ainsi comme allant à l’encontre de cette jurisprudence constante.

Cette décision de l’Autorité, qui fera sans doute l’objet d’un recours, devrait donner à la Cour d’appel de Paris l’opportunité de se prononcer sur ces questions procédurales très débattues.

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