Comment contester juridiquement un éventuel décret de blocage des prix ?

Dès le soir du second tour des élections législatives, le 7 juillet 2024, le leader de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, annonçait que dès cet été, les mesures prévues par le programme du Nouveau Front Populaire pouvaient être prises par décret sans vote du Parlement, notamment le « blocage des prix ». Le même objectif de blocage des prix a été annoncé le même soir par d’autres membres du Nouveau Front Populaire. Le blocage des prix semble donc être une priorité pour le Nouveau Front Populaire au cas où il accéderait au gouvernement.

Il n’est pas certain que le NFP accède au gouvernement ni qu’il mette en œuvre son programme. Il convient cependant d’être prêt à toute éventualité et d’analyser les conséquences d’une telle mesure pour les entreprises et l’économie française et les moyens juridiques de la contester au cas où elle verrait le jour.

I. Les effets prévisibles d’un blocage des prix

Les effets d’un blocage des prix sont bien connus. L’histoire et l’analyse économiques nous enseignent qu’ils sont assez catastrophiques.
Le fait de bloquer les prix risque en effet de conduire à des niveaux de prix fixés réglementairement à un niveau inférieur au prix de marché concurrentiel, alors que celui-ci permet une allocation optimale des ressources. Tous les manuels d’économie déconseillent fortement de recourir à ce type de mesures dirigistes (Voir notamment N. G. Mankiw et M. P. Taylor, Principes de l’économie, 4è éd. P. 254 ; J. Sloman, A. Wride et D. Garatt, Principes d’économie, 9è éd., p ;67-69 ; E. Wasmer, Principes de micro-économie, 3è éd., p. 300-306).

Les effets économiques indésirables d’un blocage des prix plafonnant le prix de marché relevés par les économistes sont, pour l’essentiel, de six types différents :

-La création ou l’aggravation d’une situation de pénurie ou d’indisponibilité des produits. Cet effet est identifié par l’ensemble des économistes (cf. notamment N. G.Mankiw et M. P. Taylor, Economics, p. 189 ; J. Sloman, A.Wride et D. Garatt, Principes d’économie, 9è éd., p ;67-69 ; E. Buisson-Fenet et M. Navarro, La micro-économie en pratique, 4 éd., p. 45-48). Lorsque le prix est bloqué à un niveau inférieur au prix de marché, les offreurs limitent ou cessent la production ou la commercialisation des produits concernés et se tournent vers des produits ou des marchés leur assurant des marges plus confortables. Un producteur, grossiste ou distributeur français préférera écouler ses produits à un meilleur prix sur les marchés étrangers et les producteurs étrangers privilégieront les marchés qui leur offrent le meilleur prix. Ce risque est particulièrement élevé dans le cadre d’une économie largement ouverte aux échanges internationaux comme l’économie française.

La Nouvelle-Calédonie, où des prix ont été fixés par arrêté par le passé, offre une expérience in vivo de cet effet de pénurie résultant d’une fixation autoritaire des prix par les pouvoirs publics. À la suite de l’arrêté n° 2010-2715/GNC qui visait 115 produits de grande consommation, une trentaine de produits concernés avaient un taux de présence inférieur à 25% dans le commerce de détail (ADLC, Rapport de l’Autorité de la concurrence relatif aux mécanismes d’importation et de distribution des produits de grande consommation en Nouvelle Calédonie, 21 septembre 2010, point 210 ; Note économique de l’Autorité de concurrence de Nouvelle Calédonie, n°2, juin 2024, p. 5). De même, lors du plafonnement des prix du gaz en Espagne en 2022, les distributeurs espagnols ont largement exporté leur gaz en France (W. Sand-Zantman, De quoi les prix sont-ils le nom ? Les Echos, 17 juillet 2024, p. 8).

-Un effet pervers sur la qualité des produits. Pour s’adapter au prix bloqué fixé en-dessous du prix de marché, les producteurs peuvent également être tentés ou contraints de réduire les coûts de production et, partant, la qualité des produits vendus afin de retrouver un niveau de rentabilité satisfaisant (cf. notamment N. G.Mankiw et M. P. Taylor, Economics, p. 189 ; Principes de l’économie, 4è éd., p. 255 ; J. Sloman, A.Wride et D. Garatt, Principes d’économie, 9è éd., p ;68 ). L’effet de réduction de la qualité a été observé par les économistes, en particulier dans les secteurs intensifs en R&D, où il s’est traduit par une baisse de l’innovation (F. M. Scott Morton, The Problems of Price Controls, 2002, Regulation, Vol 24, n° 1, 2001, The Cato Review of Business and Government). Ce risque a été identifié également en Nouvelle Calédonie qui constitue un laboratoire de tous les effets pervers possibles d’un contrôle des prix (cf. Note économique de l’Autorité de la concurrence de Nouvelle Calédonie, n°2, p. 5).

-Le développement des stratégies de contournement provoquant des comportements sous-optimaux.
Les opérateurs confrontés à des prix bloqués sont incités à augmenter les prix des produits non bloqués pour compenser la marge perdue (effet observé en Nouvelle Calédonie à l’occasion de la réglementation des produits catalogués en produits de grande consommation ou de première nécessité dont les prix étaient réglementés : ACNC, avis n° 2018-A-02 du 17 mai 2018, point 164). Ils peuvent également modifier légèrement les caractéristiques de leurs produits pour les faire échapper à la réglementation (contournement observé en Nouvelle Calédonie, avis ACNC n° 2018-A-02 précité).

-Une déstabilisation de l’ensemble des filières. Les distributeurs confrontés à des prix bloqués risquent d’être contraints de faire pression sur leurs fournisseurs en exigeant de leur part des baisses de prix qui vont les mettre eux-mêmes en difficulté car ils ne pourront plus faire face à leurs coûts de production (cf. les déclarations de certains distributeurs au Figaro Economie des 13-14 juillet 2024, p. 26).

-La désorganisation liée à la perte d’informations résultant du prix de marché. Comme l’a très bien synthétisé Etienne Wasmer (Principes de micro-économie, p. 305), le prix est une source d’informations sur la rareté relative de l’offre par rapport à la demande, qui contient plus d’informations que celles dont dispose un planificateur qui tenterait de réguler le marché par le biais d’un blocage artificiel en désorganisant l’offre et la demande. Le blocage des prix est ainsi susceptible de conduire à une mauvaise allocation des ressources, c’est-à-dire à la modification des choix normaux et rationnels des consommateurs par rapport à ce qu’ils auraient été en présence de prix libres (E. L. Glaeser et E. P. Luttmer, The Misallocation of Housing Under Rent Control, American Economic Review, vol. 93, n° 4, sept. 2003, p. 1027-1046).

-In fine, un regain d’inflation. La plupart des mesures de blocage des prix se traduisent par une augmentation de l’inflation qu’elles sont censées prévenir. La simple annonce de telles mesures peut conduire les opérateurs à augmenter leurs prix par anticipation. En cas de fixation d’un plafond, on observe également un effet taquet, les opérateurs étant incités à s’aligner sur le prix plafond.

Enfin, la mesure est inflationniste en soi, puisqu’elle est génératrice de pénuries se répercutant tôt ou tard sur le niveau des prix, de compensations de marges entraînant des hausses de prix des produits non réglementés, de baisse de la qualité et de réduction de l’innovation et de la productivité. L’histoire économique tant ancienne que récente nous enseigne que le contrôle des prix conduit au résultat contraire de celui souhaité. Les exemples historiques sont assez parlants : l’Edit du Maximum de Dioclétien de 301 instaurant un prix plafond a entraîné une crise économique dont l’Empire romain a failli ne pas se relever, tandis que le blocage des prix sous la Révolution a conduit à une pénurie et une inflation généralisées touchant les produits alimentaires. Plus récemment, le blocage des prix a été testé par la Hongrie de Viktor Orban en 2021 et a conduit à une inflation des prix des produits alimentaires de 50% ; la loi de 1936 du Front populaire tendant à réprimer les hausses injustifiées de prix a été suivie d’une inflation de 26% contre 8% avant la mesure. L’on connaît également les effets pervers du blocage des prix des loyers dans tous les pays du monde qui ont eu recours à de telles mesures.

La France a renoué avec la liberté des prix en 1986 après des décennies d’économie administrée. Le retour vers le passé par la mise en œuvre d’un contrôle des prix serait extrêmement dommageable. Le recours à de telles mesures est d’autant plus infondé qu’il est non seulement condamné par l’ensemble des économistes mais aussi au regard de toutes les expériences qui ont pu en être faites. Il s’agit d’une mesure populiste par excellence mais totalement contre-productive.

II. Les moyens juridiques permettant de s’opposer à un décret de blocage des prix

En instaurant la liberté des prix en 1986, notre pays a conservé un certain nombre de dispositions permettant d’y déroger de façon limitée et temporaire. Ces mesures exceptionnelles sont aujourd’hui codifiées à l’article L. 410-2 du Code de commerce.

Dans sa rédaction actuelle, ce texte dispose que :

« Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services relevant antérieurement au 1er janvier 1987 de l’ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 sont librement déterminés par le jeu de la concurrence.

Toutefois, dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d’Etat peut réglementer les prix après consultation de l’Autorité de la concurrence.
Les dispositions des deux premiers alinéas ne font pas obstacle à ce que le Gouvernement arrête, par décret en Conseil d’Etat, contre des hausses ou des baisses excessives de prix, des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé. Le décret est pris après consultation du Conseil national de la consommation. Il précise sa durée de validité qui ne peut excéder six mois. »

Il est vraisemblable qu’une mesure généralisée de blocage des prix des produits de première nécessité portant en particulier sur les produits alimentaires, l’énergie et les carburants serait arrêtée par décret en se fondant sur le troisième alinéa de l’article L. 410-2 du Code de commerce.
Ce dispositif n’a été mobilisé par le gouvernement qu’à de très rares occasions : suite au passage du cyclone Hugo en Guadeloupe en septembre 1989 pour encadrer la vente de certains produits de consommation courante (Décret n° 89-680 du 20 sept. 1989), durant la guerre du Golfe pour encadrer les prix de certains produits pétroliers (Décret n° 90-701 du 8 août 1990) et pendant la crise du COVID pour plafonner le prix des gels hydroalcooliques (Décret n° 2020-197 du 5 mars 2020).
Il est soumis à des conditions de forme et de fond.


A. Conditions de légalité externe

S’agissant de la forme, les moyens de contestation apparaissent limités. L’article L. 410-2 impose le recours à un décret en Conseil d’Etat pris après consultation du Conseil national de la consommation.

L’avis préalable du Conseil national de la consommation est obligatoire. Il ne semble jamais avoir retardé jusqu’à présent la prise du décret sur la base de l’article L. 410-2 du Code de commerce. S’agissant du décret n° 2020-197 du 5 mars 2020 relatif aux prix de vente des gels hydroalcooliques instaurant des prix plafonds à la vente de gels hydroalcooliques, le Conseil national de la consommation a été saisi le 4 mars 2020 et le décret est intervenu le 5 mars 2020. Il pourrait cependant en aller différemment en l’espèce car une mesure de blocage des prix pouvant avoir des effets pervers pour les consommateurs n’est pas comparable à un projet de plafonnement du prix des gels hydroalcooliques dans un contexte de crise sanitaire majeure.

La consultation de l’Autorité de la concurrence qui n’est pas expressément prévue par le texte même de l’article L. 410-2 du Code de commerce serait-elle obligatoire en cas d’intervention d’un décret de blocage des prix ou pourrait-elle intervenir à l’initiative des organismes habilités à solliciter l’Autorité d la concurrence ?
Il est vrai que l’article L. 462-2-1 du Code de commerce ne prévoit d’avis à la demande du gouvernement ou sur auto-saisine de l’Autorité que sur les prix réglementés mentionnés au deuxième alinéa de l’article L. 410-2 du Code de commerce et non au troisième alinéa.

Cependant, l’article L. 462-2 impose une consultation obligatoire de l’Autorité de la concurrence par le gouvernement sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet d’imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente.
Au cas où la consultation s’avérerait obligatoire et ne serait pas mise en œuvre ou mise en œuvre dans des circonstances ne permettant pas à l’Autorité de rendre un avis dans des conditions effectives, le décret serait entaché d’illégalité (en ce sens, Cons. D’Et., 28 mars 2007, n° 251094, FROM NORD, Rev. Lamy de la concurrence, n°13, 1er oct. 2007).

Si l’on peut considérer que le décret institue un régime nouveau, la consultation de l’Autorité de la concurrence sera obligatoire, le fait d’imposer un blocage des prix conduisant nécessairement à imposer des pratiques uniformes en matière de prix. Tout dépendra en pratique des produits ou services visés par le décret.
Jusqu’à présent, les annulations de mesures réglementaires pour défaut de saisine de l’Autorité de la concurrence ont été rares. Une étude statistique très approfondie effectuée il y a quelques années relevait que la méconnaissance de l’obligation de consultation préalable de l’Autorité de la concurrence figurant aujourd’hui à l’article L. 462-2 n’avait été retenue que dans 10% des cas où elle avait été soulevée (S. Merenne, L’étendue de l’obligation de consultation de l’Autorité de la concurrence sur le code de déontologie d’une profession réglementée, Rev. Lamy Concurrence, n° 45, 5 nov. 2015).

En effet, dans la plupart des situations, le gouvernement avait pu faire valoir que si l’Autorité de la concurrence est obligatoirement consultée par lui sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime ayant directement pour effet d’imposer notamment des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente, encore faut-il qu’il s’agisse d’un régime nouveau. C’est ainsi qu’il a été jugé que « si l’article 6 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 prévoit que le conseil de la concurrence est obligatoirement consulté par le gouvernement sur tout projet de texte réglementaire instituant un nouveau régime ayant directement pour effet (…) d’imposer des pratiques uniformes en matière de prix , le décret qui fixe le montant maximum d’évolution de certains loyers de logements dans l’agglomération parisienne se borne à faire application des dispositions de l’article 18 de la loi du 6 juillet 1989 et n’institue donc pas un nouveau régime au sens des dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 » (Cons. d’Et., Ass., 6 juin 1997, n° 183111 et n° 183353, D. 1997, 155 ; dans le même sens, Cons. D’Et., 30 oct. 1997, n° 16944, Pet. Aff., 10 nov. 1997, p ; 10, obs. C. Roquelle et G. Viala). Il a été jugé de la même façon que les décrets relatifs à l’ouverture dominicale des magasins de bricolage avaient été pris pour l’application des dispositions de l’article L. 3132-12 du Code du travail issues de l’ordonnance du 12 mars 2007 relative au Code du travail et n’avaient pas pour effet d’instituer un régime nouveau et que par suite les organisations requérantes n’étaient pas fondées à soutenir qu’elles auraient dû faire l’objet d’une consultation de l’Autorité de la concurrence (Cons. D’Et., 1re et 6e sous-sections réunies, 24 févr. 2015, n° 374726, n° 374905 et autres, AJCA, 2015, 190, obs. Bugada). Il ne faut pas non plus que la modification soit ponctuelle, faute de constituer dans ce cas un régime nouveau (en ce sens, Cons. D’Et., réf., 29 avr. 2011, n° 348036, RJDA, 2012, n° 435, RLC, oct.-déc . 2011, 57, obs. Clamour).

En revanche, dès lors qu’il ne se borne pas à préciser les modalités d’application des règles européennes et nationales en vigueur mais modifie la réglementation antérieure de manière substantielle, un décret doit être regardé comme ayant institué un régime nouveau au sens de l’article L. 462-2 du Code de commerce et imposant une consultation de l’Autorité de la concurrence (Cons. D’Et., 3è sous-section, 28 mars 2007, N° 251094, RLC oct.-déc. 2007, 57, obs. Clamour).
Compte tenu du champ d’application très large de la mesure de blocage des prix envisagée, il est vraisemblable que son périmètre comprendra des produits n’ayant pas fait l’objet de mesures préexistantes et qu’elle pourra vraisemblablement être au moins en partie qualifiée de régime nouveau impliquant une consultation de l’Autorité de la concurrence.

Au cas où le périmètre de la mesure inclurait des produits ou services ayant fait l’objet d’une réglementation antérieure, il conviendrait de s’interroger sur l’opportunité d’une saisine pour avis de l’Autorité et de la déclencher le cas échéant.

B. Conditions de légalité interne

L’article L. 410-2 du Code de commerce permet au gouvernement d’arrêter par décret en Conseil d’Etat, contre des hausses ou des baisses excessives de prix, des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé.

Il convient donc que les mesures :
-soient dirigées contre des hausses ou baisses excessives de prix ;
-soient temporaires sans pouvoir excéder une durée de 6 mois ;
-soient motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché et ce dans un secteur déterminé.
Les mesures envisagées consistant en un blocage généralisé des prix des produits dits de première nécessité ne paraissent pas répondre en l’état à la première et à la troisième condition de fond requises par l’article L. 410-2 du Code de commerce. Elles sont par ailleurs susceptibles de soulever des problèmes au regard du droit européen et de leurs modalités d’application.

a) L’absence de hausse excessive des prix
La notion de hausse excessive des prix n’est pas définie par l’article L. 410-2 du Code de commerce. L’absence de recours contentieux contre les trois dernières mesures de contrôle des prix prises sur le fondement de l’article L. 412-1 du Code de commerce complique encore l’interprétation.

L’on sait que celle de prix excessif susceptible de constituer un abus de position dominante, mais qui incrimine un niveau de prix et non une évolution, donne lieu à des débats permanents en droit de la concurrence (sur les critères des prix excessifs dans ce cadre, V. L. et J. Vogel, Le contrôle des prix excessifs, BRDA 3/23, p. 27).
En essayant d’imaginer toutes les définitions possibles, la hausse excessive des prix peut se référer soit au niveau de l’inflation, jugé ou non excessif, soit à l’évolution comparée des prix par rapport aux coûts, à d’autres produits ou à un benchmark d’autres marchés comparables ou encore à la comparaison de l’évolution des prix et des revenus.

En cas de contentieux, il faudra constituer un dossier solide :

– analysant l’évolution de l’inflation pour savoir si elle peut caractériser une hausse excessive des prix ;
– comparant la hausse des prix par rapport à la hausse des coûts pour démontrer l’absence d’excès dans la répercussion des coûts dans les prix ;
– comparant la hausse des prix des produits concernés par le périmètre du blocage par rapport à celle des autres produits ;
– comparant la hausse du panier soumis à blocage en France par rapport à l’évolution du même panier dans des pays comparables ;
– analysant l’évolution du pouvoir d’achat, si l’on adopte une conception plus sociale d’une hausse de prix excessive.

Ce travail devra être réalisé avec l’aide d’un cabinet de conseil économique.
A première vue, quelle que soit la conception retenue, le contexte de marché actuel ne traduit pas d’indice de hausse des prix excessive.
Il paraît difficile de considérer qu’il existerait actuellement en France une situation d’inflation qui reflèterait une hausse de prix excessive. En effet, selon la dernière note de conjoncture de l’INSEE en date du 9 juillet 2024, « l’inflation a nettement reflué, s’établissant à 2,1% sur un an en juin 2014 contre + 4,5% un an plus tôt ».

La note de conjoncture montre également que le périmètre des produits dont le blocage est envisagé n’est pas impacté actuellement par une forte inflation. Selon l’INSEE, « les prix alimentaires et de produits manufacturés se stabilisent et l’inflation est désormais essentiellement portée par le prix des services ». Le blocage envisagé est donc déconnecté de la réalité du marché.

Le taux de marge des entreprises demeure modéré. Sur l’ensemble de l’année 2024, il s’établit à 32,2%. Aucun excès ne peut être caractérisé en la matière. En effet, traditionnellement le taux de marge des entreprises françaises est bien inférieur à celui de leurs voisins. Selon une étude Allianz, fin 2022, en zone euro, les marges des entreprises non-financières ont atteint 40,8%, soit +0,6 point par rapport à leur moyenne de long-terme. L’Italie (43,1%), l’Espagne (42,2%) et l’Allemagne (39,3%) enregistrent les meilleures performances, loin devant la France (32,3%). L’INSEE ne prévoit aucune évolution qui traduise un quelconque excès : « en 2024, le taux de marge d’ensemble des SNF se tasserait, atteignant 32,2% de leur valeur ajoutée après 32,9% en 2023 ».

Les statistiques montrent que le pouvoir d’achat est en augmentation de façon globale, même s’il peut y avoir des différences individuelles. L’INSEE analyse la situation de la façon suivante : « outre les gains de salaires réels, les ménages bénéficient de la revalorisation des prestations, en premier lieu des pensions et, dans une moindre mesure, de revenus de la propriété encore dynamiques. Au final, le pouvoir d’achat du revenu disponible brut par unité de consommation augmenterait de +0,9% en 2024 après +0,3% en 2023 et -0,3% en 2022. Cette hausse de pouvoir d’achat est largement acquise au premier semestre 2024, la plupart des revalorisations ayant eu lieu en début d’année ».
Aucune évolution excessive des prix ne peut non plus être caractérisée par rapport aux autres pays européens. Dans la zone euro, l’inflation diminue depuis plusieurs mois mais dans des proportions comparables à la France (en glissement annuel, l’IPCH progresse de 2,5% en juin selon l’INSEE).

Aucune hausse excessive des prix ne semble dès lors pouvoir être objectivement caractérisée.

b) L’absence de situation de crise, de circonstances exceptionnelles, de calamité publique ou de situation manifestement anormale du marché

D’un point de vue purement économique, aucune situation de crise ne caractérise 2024 par rapport à 2023. Selon la dernière note de conjoncture de l’INSEEE en date du 9 juillet 2024, l’activité a progressé de 0,2% au premier semestre après 0,3% fin 2023. Sur l’ensemble de l’année 2024, la croissance atteindrait selon l’INSEE 1,1%, soit autant qu’en 2023.

La note de conjoncture de l’INSEE de juillet 2024 ne caractérise aucune situation de crise économique, ni de circonstances exceptionnelles, ni de calamité publique, ni de situation manifestement anormale du marché. En synthèse, l’INSEE considère qu’en 2024, la zone euro sort de l’ornière, la France connaît un été olympique, les ménages retrouvent un peu de pouvoir d’achat, la consommation prend de l’élan, la contribution du commerce extérieur semble devenir positive en 2024, l’investissement se stabilise et le chômage est en très faible hausse, la situation politique en France constituant le seul aléa. Dans ces conditions, un blocage des prix n’aurait aucune justification rationnelle et conduirait au contraire à une crise économique majeure.

c) La contrariété au droit européen

La fixation d’un prix maximal sur le marché français pour de nombreux produits ne serait-elle pas de nature à limiter les ventes des produits importés en provenance des autres pays membres de l’Union européenne et ne contreviendrait-elle pas à la liberté de circulation des produits au sein du marché commun ?
La question a déjà été posée à plusieurs reprises à la Cour de justice. Celle-ci a rendu deux arrêts de principe disant pour droit que « si un prix maximal indistinctement applicable aux produits nationaux et importés de sucre ne constitue pas en lui-même une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative, il peut cependant sortir un tel effet lorsqu’il est fixé à un niveau tel que l’écoulement des produits importés devient, soit impossible, soit plus difficile que celui de produits nationaux. Un prix maximal, pour autant, en tout cas, qu’il s’applique à des produits importés, constitue donc une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative, notamment lorsqu’il est fixé à un niveau tellement bas que -compte tenu de la situation générale des produits importés comparée à celle de produits nationaux- les opérateurs désirant importer le produit dont il s’agit dans l’Etat membre concerné, ne pourraient le faire qu’à perte » (CJCE, 26 févr. 1976, Tasca, Aff. 65-75, Rec. p. 00291 ; 26 févr. 1976, Sadam/ Comitato interministeriale dei Prezzi, aff. 88 à 90-75, Rec. p. 00323).

En fonction du périmètre du blocage et du niveau du prix plafond, la mesure de blocage des prix est donc susceptible d’enfreindre le droit européen.
D’autres dispositions européennes pourraient également être mobilisées en fonction de la nature des produits concernés. S’agissant des tarifs réglementés du gaz naturel, le Conseil d’Etat a ainsi annulé, par un arrêt du 19 juillet 2017, le décret français du 16 mai 2013 relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel en tirant les conséquences de l’arrêt de la CJUE du 7 décembre 2016 (aff. C-121-15) qu’il avait saisie à titre préjudiciel.

Il a considéré que les tarifs réglementés en cause constituaient une entrave à la réalisation d’un marché concurrentiel du gaz sans que cette restriction respecte les conditions qui auraient permis de la regarder comme admissible au regard du droit de l’Union pour qu’une telle entrave puisse être admise, à savoir :

-répondre à un objectif d’intérêt économique général, c’est-à-dire avoir pour objet de garantir la sécurité des approvisionnements, la cohésion territoriale ou le maintien des prix à un niveau raisonnable ;
-ne porter atteinte à la libre fixation des prix que dans la seule mesure nécessaire à la réalisation de cet objectif, et durant une période limitée de temps ;
-être clairement définie, transparente, non discriminatoire et contrôlable.

d) L’irrégularité éventuelle des modalités du blocage envisagé

L’activité économique intervient aujourd’hui dans le cadre de mécanismes complexes que des mesures réglementaires de blocage des prix ont beaucoup de mal à appréhender. L’encadrement des prix des gels hydroalcooliques a fait l’objet de nombreuses critiques en doctrine en ce qui concerne le caractère très rudimentaire de la mesure par rapport à la complexité du mécanisme de détermination du prix. Il lui a été reproché en doctrine d’être source de discrimination et de nature à placer certains opérateurs en situation d’illégalité.

Le prix peut en effet être exprimé en intégrant les remises sur facture (tel était le prix de gros visé par le décret de l’époque) ou en trois fois net (intégrant les marges arrière), ou encore en quadruple net (intégrant les NIP) ou en quintuple net (intégrant d’autres avantages commerciaux, comme les accords internationaux). La base retenue par le blocage peut désavantager ou avantager les opérateurs selon les modalités convenues quant à la décomposition du prix (cf. B. Buy, La norme de droit et ses contre-effets économiques : l’exemple de l’encadrement du prix des gels hydroalcooliques, Rev. Lamy de la concurrence, n° 97, 1er sept. 2020).

Pour un prix de marché net identique, un fournisseur pourra avoir en cas de prix bloqué sur le double net à consentir des efforts financiers plus importants pour les distributeurs bénéficiant d’importants avantages tarifaires hors facture que pour les acheteurs dont les avantages tarifaires sont intégrés sur facture. Certains distributeurs bénéficieront d’avantages tarifaires injustifiés. De même, l’absence de mesure transitoire ou son insuffisance peut conduire certains commerçants à acquérir les produits en cause à un prix supérieur au prix plafond et à se trouver le cas échéant en situation de revente à perte, donc d’infraction pénale (cf. J.-D. Pellier, Retour sur le contrôle des prix sur fond de coronavirus : entre Charybde et Scylla, A propos du décret n° 2020-197 du 5 mars 2020 relatif au prix de vente des gels hydroalcooliques, D. 2020, p. 546).
Une politique économique raisonnable devrait plutôt avoir pour objet de promouvoir la concurrence, la productivité et la création de richesses au profit de la collectivité plutôt que de passer par une mesure autoritaire contre-productive, populiste et inefficiente aux multiples effets pervers.

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