Nouveau revers devant les autorités de concurrence françaises pour Google (V. déjà sur l’application des règles Google Ads : Aut. Conc. n° 19-MC-01 du 31 janvier 2019, confirmée partiellement par Paris, 4 avril 2019 et Aut. Conc. n°19-D-26 du 19 décembre 2019 ayant condamné Google à 150 millions d’euro) qui, par un arrêt en date du 8 octobre, voit les mesures conservatoires prononcées à son encontre confirmées par la Cour d’appel de Paris, pour la deuxième fois, en deux ans, alors même qu’en pratique, l’Autorité n’octroie ce type de mesures qu’en de rares occasions (une fois en 2011, deux fois en 2014 et une fois en 2016).

Dans le cadre de l’application de la loi du 24 juillet 2019 sur les droits voisins qui confère aux opérateurs de presse le droit d’interdire ou d’autoriser contre rémunération la reproduction de leurs contenus (extraits d’articles, photographies, infographies, vidéos, etc.) sur les plateformes numériques, plusieurs syndicats d’éditeurs de presse et l’Agence France-Presse (AFP) se sont plaints d’un abus de position dominante de la part de Google qui, brusquement et unilatéralement, a modifié sa politique d’affichage de leurs publications au sein de ses différents services, dont Google Search et Google Actualités, pour les contraindre à accepter une reprise de leur contenus éditoriaux sans rémunération. Par une décision n° 20-MC-01 en date du 9 avril 2020, l’Autorité a estimé que la plateforme pourrait abuser de sa position dominante sur le marché français des services de recherche généraliste : i) en imposant aux éditeurs et agences de presse des conditions de transaction inéquitables visant à éviter toute forme de négociation et de rémunération pour la reprise et l’affichage de leurs contenus protégés au titre des droits voisins ; ii)  en traitant de façon identique des opérateurs placés dans des situations différentes, sans justification objective ; iii) en contournant la loi sur les droits voisins. Elle a par conséquent prononcé des mesures conservatoires permettant aux opérateurs de presse qui le désirent d’entrer en négociation de bonne foi avec Google pour convenir des modalités d’une reprise et d’un affichage de leurs contenus protégés ainsi que de leur rémunération.

La plateforme numérique a formé un recours contre cette décision devant la Cour d’appel de Paris, contestant chacun des trois cas retenus par l’Autorité comme étant susceptibles de caractériser un abus position dominante, l’existence d’un lien de causalité entre eux et sa position dominante, et la définition du marché pertinent.

Sur le marché, la Cour d’appel de Paris a retenu que c’est à juste titre que l’Autorité a défini le marché pertinent comme étant celui de la recherche généraliste en ligne, marché sur lequel Google détient une position dominante eu égard à ses parts de marché qui sont de l’ordre de 90%, dès lors que le moteur de recherche de la plateforme intéresse à la fois l’internaute qui fait la recherche, les annonceurs qui veulent placer leurs produits et les fournisseurs de contenus qui cherchent de l’audience, ces services étant étroitement liés en ce qu’ils poursuivent un but lucratif commun, et interdépendants, car Google a intérêt à optimiser le référencement des sites internet indexés sur son moteur de recherche pour rendre sa plateforme de recherche plus attractive pour les utilisateurs, ce qui maximisera ses activités lucratives, en particulier publicitaires, tandis que l’attractivité de son moteur de recherche rend l’indexation des sites des éditeurs cruciale pour ces derniers.

Concernant les cas susceptibles de relever d’un abus de position dominante, la Cour n’a examiné que la pratique d’imposition de conditions de transactions inéquitables relevant notamment qu’« il est constant que Google, un mois avant l’entrée en vigueur de la loi, a annoncé qu’il demanderait l’autorisation aux éditeurs et agence de presse pour l’affichage de leur contenu par ses services « Google Search », « Google Actualités » et « Google Discover » tout en indiquant, d’emblée, avant toute négociation, qu’il n’entendait pas rémunérer la reprise de ces contenus […]. Le comportement unilatéral et systématique adopté par Google lors de l’entrée en vigueur de la loi de 2019 a placé les éditeurs de presse dans une situation fortement contrainte, faisant peser sur eux un risque de déréférencement, alors même que cette loi a fait de la négociation, sur un plan à la fois juridique et économique, un élément central des relations entre services de communication au public en ligne et éditeurs et agences de presse ». Elle en déduit que les éléments apportés suffisant à justifier de l’existence d’une pratique d’imposition de conditions de transactions inéquitables probable autorisant le prononcé de mesures conservatoires, il ne lui était pas nécessaire d’examiner les autres abus envisagés par l’Autorité.

Sur le lien de causalité, la Cour a estimé que l’Autorité avait suffisamment établi le lien de causalité existant entre la position dominante de Google et l’imposition de conditions de transaction inéquitables en retenant que c’est en raison de sa part de marché, de l’ordre de 90%, du caractère non substituable du trafic généré par le moteur de recherche sur les sites des éditeurs et de l’importance économique de ce trafic pour ces derniers, que Google a pu s’affranchir de toute pression concurrentielle et obtenir des éditeurs de presse des conditions équivalentes et une licence gratuite, sans négociation possible.

Enfin, sur l’atteinte grave et immédiate justifiant le prononcé de mesures conservatoires, que contestait également Google,  la Cour retient que le comportement de la plateforme a porté gravement atteinte au secteur de la presse car il a privé ses opérateurs de toute possibilité de valorisation du droit voisin destiné à les soutenir dans leur transition digitale et compromis la diversité de l’offre numérique mise à disposition des consommateurs et des différents acteurs du marché numérique dans un contexte de baisse des revenus issus de la presse papier. En outre, l’atteinte est immédiate car l’abus reproché fait échec au dispositif légal conçu pour sauvegarder la pérennité d’un secteur en crise au moment où il entre en vigueur par un refus global et indifférencié de toute négociation et rémunération des contenus protégés partiellement reproduits à l’occasion de l’affichage des résultats des recherches en ligne. Elle confirme par conséquent l’ensemble des mesures, à l’exception de l’injonction qui visait à empêcher que les conditions techniques d’affichage, d’indexation, de classement ou de présentation des contenus protégés appliqués par Google avant le litige soient modifiées afin d’influencer l’issue des négociations avec les éditeurs, dont elle réforme les termes, leur formulation trop générale ne permettant pas de circonscrire la mesure à ce qui est strictement nécessaire pour faire face à l’urgence et pouvant conduire à geler toutes innovations nécessaires aux performances du moteur de recherche au cours des négociations entreprises avec les partenaires concernées.

Condamné à trois reprises pour abus de position dominante à de lourdes amendes par la Commission européenneen juillet 2018 (4,34 milliards d’euro), en juin 2017 (2,42 milliards d’euro) et en mars 2019 (1,49 milliard), Google risque de voir sa situation s’aggraver davantage mais outre atlantique cette fois-ci, la justice américaine ayant annoncé, le 20 octobre dernier, entamer des poursuites à son encontre pour abus de position dominante….