La Commission doit payer des intérêts sur les amendes qu’elle a indûment infligées en matière de concurrence

La Cour de justice de l’Union européenne a récemment rendu une décision importante concernant les intérêts dus sur les amendes antitrust annulées.

Dans une affaire impliquant Deutsche Telekom, elle a retenu que la Commission européenne est tenue de rembourser non seulement le principal de l’amende, mais également les intérêts dus depuis la date de paiement à titre provisoire de l’amende jusqu’à la date de son remboursement. Cette obligation découle du fait que la somme payée par une entreprise en vertu d’une décision de la Commission, ultérieurement annulée ou réduite, doit être considérée comme indûment perçue. Par conséquent, la restitution de cette somme doit s’accompagner du paiement d’intérêts afin de compenser la perte de jouissance de cette somme par l’entreprise. La Cour de justice précise à cet égard que le remboursement s’impose à la Commission indépendamment de la preuve d’un préjudice subi par l’entreprise ou de l’absence d’intérêts produits par le placement de ces sommes.

Dans cette affaire, Deutsche Telekom avait initialement payé une amende de 31 millions d’euros imposée par la Commission pour abus de position dominante sur le marché slovaque. Après une série de recours, le Tribunal de l’Union européenne a annulé l’amende en 2018. Deutsche Telekom a alors demandé le remboursement de l’amende ainsi que des intérêts. La Commission a remboursé le principal mais a refusé de payer des intérêts, soutenant que la réglementation de l’UE ne prévoyait pas explicitement une telle obligation. Deutsche Telekom a porté l’affaire devant la Cour de justice, qui a tranché en sa faveur, affirmant que la Commission devait payer des intérêts au taux de refinancement de la BCE majoré de trois points de pourcentage, à compter de la date du paiement de l’amende jusqu’à la date de son remboursement.

Cette décision de la Cour de justice est fondée sur les principes de proportionnalité et de sécurité juridique, principes généraux du droit de l’Union européenne. La Cour a souligné que l’obligation de verser des intérêts en cas de remboursement d’amendes annulées ou réduites est nécessaire pour garantir une protection juridique effective des entreprises concernées. Elle a également indiqué que cette obligation découle du principe selon lequel les institutions de l’UE doivent réparer les dommages causés par leurs actes illégaux.

La jurisprudence de la Cour de justice en matière d’intérêts dus sur les amendes antitrust annulées a des implications importantes pour la Commission européenne et les entreprises sanctionnées. La Commission européenne devra tenir compte de ces solutions dans le cadre de ses futures procédures antitrust en s’assurant que ses décisions sont solidement fondées et respectent pleinement les droits des entreprises afin de minimiser le risque d’annulation ou de réduction des amendes par les juridictions de l’UE. Par ailleurs, la Commission pourrait être incitée à adopter des mesures visant à prévenir les erreurs dans l’imposition des amendes, afin de limiter sa responsabilité financière en cas de recours des entreprises sanctionnées.

La solution de la Cour de justice soulève également des questions concernant l’interprétation et l’application des règles de l’UE en matière d’amendes antitrust. En particulier, elle met en lumière la nécessité d’une clarification des dispositions relatives aux intérêts dus en cas de remboursement d’amendes annulées ou réduites. La Commission pourrait envisager de proposer des modifications législatives pour préciser ces règles et éviter les litiges futurs.

Les répercussions s’étendent également aux relations entre la Commission européenne et les entreprises opérant sur le marché intérieur de l’UE. Elles renforcent la nécessité pour la Commission de mener ses enquêtes et d’imposer ses amendes de manière transparente et équitable, en respectant les droits de défense des entreprises. Elles soulignent également l’importance de la protection juridictionnelle des entreprises, qui doivent pouvoir contester les décisions de la Commission devant les juridictions de l’UE et obtenir une réparation adéquate en cas d’annulation ou de réduction d’amendes.

Cette décision récente de la Cour de justice a également une incidence sur les pratiques des entreprises en matière de recours contre les décisions de la Commission. Elle encourage les entreprises à exercer pleinement leurs droits de recours pour contester les amendes qu’elles estiment injustifiées ou excessives, en sachant qu’elles peuvent obtenir le remboursement des amendes payées ainsi que des intérêts compensatoires en cas de succès de leur recours. Elle  contribue également à renforcer la légitimité et la crédibilité du système juridique de l’UE. Elle démontre que les institutions de l’UE, y compris la Commission européenne, sont soumises au contrôle juridictionnel et doivent respecter les principes de légalité et de proportionnalité. Elle montre enfin que les juridictions de l’UE jouent un rôle crucial dans la protection des droits des entreprises et la garantie de la justice dans l’application des règles de concurrence de l’UE.

CJUE, gr. ch., 11 juin 2024, aff. C-221/22 P, Commission européenne c/Deutsche Telekom AG

 

 

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