La Cour de cassation vient de rendre un arrêt très important dont la portée s’étend bien au-delà des contrats de distribution exclusive concernés en l’espèce.

Dans cette affaire, reprochant à l’un de ses distributeurs une mauvaise gestion de ses stocks, une marque de parfumerie lui avait notifié le non-renouvellement du contrat à son échéance, soit cinq mois après l’envoi de la lettre de rupture. Estimant un tel préavis insuffisant pour mettre un terme à des relations de près de quinze ans, le distributeur avait assigné son fournisseur en rupture brutale de relations commerciales établies. Débouté par les premiers juges, il obtenait gain de cause en appel.

Selon les juges parisiens, en effet, le comportement du fournisseur, qui n’avait pas rompu immédiatement le contrat mais seulement annoncé son non-renouvellement à son échéance, cinq mois plus tard, démontrait qu’il ne considérait pas que les manquements invoqués présentaient un caractère suffisant de gravité (Paris, 4 juillet 2018, LawLex201800001037JBJ).

Cette solution s’inscrit dans un courant de jurisprudence très largement dominant, que notre cabinet a maintes fois dénoncé, qui consiste à sanctionner la longanimité d’entreprises, qui, plutôt que de rompre brutalement le contrat d’un partenaire fautif, lui accordent un préavis pour lui permettre de rechercher des solutions de reconversion et se voient ultérieurement privées de la faculté d’invoquer la faute dénoncée pour échapper aux demandes d’indemnisation de leur ancien partenaire (V. encore Paris, 16 janvier 2020, LawLex202000000064JBJ ; 8 janvier 2020, LawLex202000000030JBJ ; 3 juillet 2019, LawLex201900000888JBJ ; 19 juin 2019, LawLex201900000844JBJ). Symptomatique de cette tendance qui conduit à des résultats parfois ubuesques, un arrêt récent a même estimé qu’un partenaire qui avait proposé à son prestataire, dans sa lettre de rupture, de  » mettre en œuvre ensemble, de concert et de bonne foi, les modalités de fin de notre contrat (…), ceci dans le respect des intérêts de nos deux sociétés ainsi que de nos clients « , avait ainsi reconnu que les fautes invoquées n’étaient pas suffisamment graves (Paris, 19 décembre 2019, LawLex201900001594JBJ).

Fort heureusement, la Cour de cassation a décidé de mettre un terme à cette dérive. Dans la présente affaire, elle censure la position des juges du fond en soulignant que « même en présence de manquements d’une partie suffisamment graves pour justifier la rupture immédiate de la relation commerciale, il est toujours loisible à l’autre partie de lui accorder un préavis ». Même si l’arrêt n’est pas destiné à être publié au Bulletin, il est permis d’espérer que, désormais, un partenaire qui a commis une faute grave ne pourra plus reprocher à l’auteur de la rupture l’insuffisance du préavis que celui-ci lui a accordé pour pacifier la rupture.

Cette solution s’étendra-t-elle au courant de jurisprudence voisin qui estime que celui qui n’a pas préalablement fait de reproches à son partenaire ne peut se prévaloir d’une faute grave (V. not. Paris, 7 novembre 2019, LawLex201900001366JBJ ; 3 octobre 2019, LawLex201900001183JBJ ; 14 mars 2019, LawLex201900000358JBJ) ? On ne peut que le souhaiter, car dans les deux cas, la jurisprudence semble se fonder sur une prétendue tolérance de l’auteur de la rupture face à la faute pour réfuter la gravité de celle-ci.

Bien que très satisfaisant sur la question des conséquences de l’octroi d’un préavis, l’arrêt déçoit par la formulation de l’un de ses attendus, qui confirme son interprétation contra legem du texte de l’ancien article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, devenu l’article L. 442-1, II.

En effet, la Haute juridiction énonce qu’ « [i]l résulte de ce texte qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale. Cette règle ne souffre d’exception qu’en cas de force majeure ou d’inexécution par l’autre partie de ses obligations, suffisamment grave pour justifier la rupture unilatérale immédiate de la relation ».

Cette dernière affirmation ajoute en effet à la loi des dispositions qu’elle ne comporte pas. Le texte visé ne fait nullement référence à la faute grave, mais seulement à une inexécution contractuelle. Une telle interprétation empêcherait toute résiliation extraordinaire fondée sur le manquement d’un partenaire à ses obligations, quel que soit son degré de gravité. Or, une telle exigence, rappelons-le, ne figure pas au texte. Ceci n’a malheureusement pas empêché la Cour de cassation de juger, en 2013 et en 2018, que, même en présence d’une clause résolutoire, un fournisseur ne pouvait pas rompre un contrat avec effet immédiat en cas de non-atteinte de ses objectifs par un distributeur, en l’absence de faute suffisamment grave (Cass. com., 9 juillet 2013, LawLex201300001101JBJ ; 5 avril 2018, LawLex201800000568JBJ). Cette solution apparaît contraire à la jurisprudence constante selon laquelle le fait d’ajouter à la loi une condition qu’elle ne prévoit pas équivaut à une violation de la loi (Cas. 1re civ., 8 juin 2016, n° 15-19.892 ; Cass. soc., 30 sept. 2016, n° 16-60.288 ; 8 juin 2017, n° 15-29.429 ; 14 févr. 2018, n° 16-20.869 ; Cass. com., 18 oct. 2017, n° 16-15.900 ; 15 janv. 2020, n° 18-10.512).