#LeConseilDuMois – Comment éviter la rétroactivité des sanctions civiles ou administratives plus sévères en droit des pratiques anticoncurrentielles ?

La répression des pratiques anticoncurrentielles devient de plus en plus rigoureuse. Une pratique anticoncurrentielle peut faire l’objet a minima d’une double peine, administrative sous forme d’amende prononcée par l’Autorité de la concurrence ou la Commission, et civile, à travers les dommages-intérêts accordés aux victimes des pratiques, sans même parler des peines complémentaires comme la nullité des contrats ou clauses en cause ou d’éventuelles sanctions pénales en cas de participation personnelle, frauduleuse et déterminante des personnes physiques à l’infraction et l’atteinte à l’image et à la réputation de l’entreprise. Si l’on s’en tient à la double peine principale, résultant du cumul du public enforcement et du private enforcement, les sanctions n’ont cessé d’augmenter ces dernières années. En matière d’amende, le nouveau communiqué Sanctions de l’Autorité de la concurrence du 30 juillet 2021 conduit mécaniquement à quasiment doubler le montant de l’amende encourue, voire plus. Le montant de l’amende résulte de l’application au chiffre d’affaires concerné par l’infraction d’un pourcentage de gravité multiplié par un coefficient de durée, avec des facteurs minorants et aggravants, le tout dans la limite d’un plafond de 10 % du chiffre d’affaires mondial du groupe. Le nouveau communiqué Sanctions de 2021 aggrave les éléments de calcul. Le coefficient de durée traditionnel de 0,5 par an appliqué pour les années suivant la première année passe au coefficient 1, soit un doublement après la première année. L’Autorité peut désormais également infliger un droit d’entrée additionnel de 15 à 25 % de la valeur des ventes. Le private enforcement n’est pas non plus en reste. La directive du 26 novembre 2014, transposée en droit français par l’ordonnance du 9 mars 2017, a facilité l’action des personnes s’estimant victimes de pratiques anticoncurrentielles en instaurant une présomption de faute liée à la décision de l’Autorité de la concurrence, une présomption de préjudice en cas d’entente horizontale et une présomption de non-répercussion sur les clients de la victime du surcoût lié à la pratique. La difficulté fréquemment rencontrée par les entreprises mises en cause pour des pratiques anticoncurrentielles réside dans le fait que les autorités et les demandeurs de dommages-intérêts cherchent à leur appliquer des règles de calcul des amendes et des dommages-intérêts plus sévères qui n’étaient pas en vigueur au moment de la commission de l’infraction. Cette stratégie consiste à demander l’application du communiqué Sanctions à des faits antérieurs au 30 juillet 2021 et, pour les demandeurs de réparations civiles, à appliquer les nouvelles présomptions instaurées en 2014 et 2017 à des faits bien antérieurs. Comment faire obstacle à cette double rétroactivité ?

I. Le combat contre la rétroactivité du mode de calcul plus sévère des amendes

1. Faire valoir le principe de la non-rétroactivité des lois pénales plus sévères à propos du communiqué Sanctions. L’Autorité considère que son communiqué peut être rétroactif dès lors qu’il n’est qu’interprétatif et ne constitue pas en soi une disposition législative. Ce-pendant, il résulte d’une jurisprudence constante qu’une « interprétation jurisprudentielle dont le résultat n’était pas raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été com-mise » ne peut s’appliquer rétroactivement (TUE, 27 mars 2014, LawLex201400001752JBJ). Contrairement à ce qui a pu être jugé à propos de l’ancien communiqué de 2011 (Cass. com., 17 mars 2015, LawLex201500000336JBJ ; Paris, 4 juill. 2019, LawLex201900000898JBJ), le nouveau coefficient de dissuasion n’a pas été évoqué lors de la réforme du droit de la concurrence par la loi DDADUE du 3 décembre 2020 et n’était pas prévisible avant l’adoption du nouveau communiqué Sanctions. Il instaure une « fourchette de sanction », ce qui constitue, selon la jurisprudence, un cas d’imprévisibilité s’opposant à la rétroactivité (cf. Paris, 4 juill. 2019, préc.). De même, l’aggravation de 0,5 à 1 du coefficient de durée n’a jamais été envisagée lors des réformes législatives du droit français de la concurrence alors que le choix d’un coefficient de 0,5 en 2011 s’inscrivait en contradiction avec celui retenu en droit européen et manifestait une autonomie revendiquée du droit français dont l’abandon n’était pas prévisible.

2. S’opposer à toute application rétroactive en épuisant les voies de recours. Le combat contre la rétroactivité qui porte atteinte à un principe essentiel du droit français doit être général et absolu. Il convient, en cas de refus de reconnaissance de la non-rétroactivité, de faire valoir son illégalité en appel et en cassation ainsi que devant la Cour européenne des droits de l’Homme. De même, il faut s’opposer aux lois rétroactives de nature mixte qui régissent la procédure tout en ayant un impact sur la sévérité de la sanction (sur le fondement de l’arrêt Scoppola de la Cour EDH du 17 sept. 2009, req. n° 10299/83) ainsi qu’à la suppression par la loi DDADUE du plafond de sanction en cas de recours à la procédure simplifiée ou à la rétroactivité de la suppression du critère du dommage à l’économie pouvant également conduire à une inflation des sanctions.

II. Le combat contre la rétroactivité des nouvelles règles de 2014 et 2017 en matière de dommages-intérêts

3. S’opposer à toute demande de rétroactivité directe des nouvelles règles. La non-rétroactivité des nouvelles règles d’indemnisation s’impose tant en vertu du droit commun que de la directive de 2014 elle-même qui pose un principe de non-rétroactivité de ses dispositions substantielles. Ce principe a été rappelé par l’ordonnance de transposition de 2017 et confirmé par la jurisprudence européenne (CJUE, 28 mars 2019, LawLex201900000489JBJ ; 22 juin 2022, LawLex202200003202JBJ) et française (Paris, 24 nov. 2021, LawLex202100006016JBJ ; 23 juin 2021, LawLex202100004670JBJ).

4. S’opposer à tout contournement de la non-rétroactivité sous couvert d’effectivité du droit européen ou d’interprétation du droit ancien à la lumière du droit nouveau. Les demandeurs de dommages-intérêts ne sauraient contourner la non-rétroactivité en prétendant que le droit antérieur empêcherait leur indemnisation. Ce n’est que dans l’hypothèse d’une impossibilité d’indemnisation que cette exception peut jouer. Or le droit français antérieur permet l’indemnisation des victimes de pratiques anticoncurrentielles (Paris, 5 janv. 2022, LawLex202200000106JBJ). Il doit d’autant plus en être ainsi que le principe d’effectivité ne peut porter atteinte aux principes généraux du droit dont fait partie la non-rétroactivité. Les mêmes principes impliquent qu’il n’est pas possible de contourner la non-rétroactivité sous prétexte d’interprétation du droit ancien à la lumière du droit nouveau, l’interprétation devant respecter le principe de la non-rétroactivité et ne pouvant s’appliquer contra legem (CJUE, 24 juin 2019, LawLex201900001294JBJ).

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