La loi Hamon du 17 mars 2014 entraîne de multiples changements du droit positif dans de nombreux domaines. Ce texte hétéroclite réforme pêle-mêle des pans entiers du droit de la consommation, du crédit et de l’assurance, des pratiques restrictives et de la négociation commerciale ou de la distribution en passant par la réglementation des indications géographiques protégée (IGP) ou des voitures de tourisme avec chauffeur (VTC). De façon générale, il étend considérablement les pouvoirs de l’Administration et les sanctions administratives.

Le droit de la concurrence n’échappe pas à la réforme et plus particulièrement le régime des actions civiles de concurrence. La mesure la plus médiatique concerne bien évidemment l’action de groupe ouverte à la fois en droit de la consommation et en droit de la concurrence. Même si les nouveaux risques liés à l’action de groupe en droit de la concurrence doivent être pris très au sérieux par les entreprises, son efficacité pratique demeurera cependant limitée compte tenu des multiples contraintes qui encadreront sa mise en œuvre. Plus généralement, en matière d’actions civiles de concurrence, les entreprises doivent être conscientes que les dispositions nouvelles constituent une rupture profonde avec toutes les règles qui gouvernent jusqu’à présent la responsabilité civile en cas d’infraction aux règles de concurrence.

I. Une réforme médiatique mais peu efficiente : l’action de groupe de concurrence

1. L’instauration de l’action de groupe en droit positif.

Le nouvel article L. 423-1 du Code de la consommation issu de la loi Hamon permet à une association de défense des consommateurs, représentative au niveau national et agréée, d’agir devant une juridiction civile afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs placés dans une situation similaire ou identique et ayant pour cause commune un manquement d’un même professionnel à ses obligations légales ou contractuelles, lors de la vente de biens ou la fourniture de services ou du fait de pratiques anticoncurrentielles. Cette nouvelle procédure pourra être mise en œuvre après la parution d’un décret à intervenir d’ici cet été.

2. Les raisons de l’instauration de l’action de groupe de concurrence.

Les promoteurs de l’action de groupe invoquent généralement à son crédit l’ouverture de nouveaux droits pour les consommateurs qui ne pouvaient jusque là être exercés effectivement, auparavant non effectifs compte tenu de la faiblesse de chaque préjudice individuel, la restauration d’un équilibre entre consommateurs et professionnels, la lutte contre les fautes lucratives de certaines entreprises assurées auparavant d’une impunité anormale et l’encouragement des pratiques vertueuses des entreprises respectueuses du droit. A ces bonnes raisons avancées par les tenants de l’action de groupe, s’ajoute en droit de la concurrence la volonté de favoriser le « private enforcement », complémentaire du « public enforcement », à même de jouer un rôle dissuasif d’éventuelles atteintes au droit de la concurrence.

3. Une action strictement encadrée.

L’action de groupe à la française est strictement encadrée. Le droit d’action est réservé aux associations agréées ; le périmètre des victimes se limite aux consommateurs personnes physiques ; le préjudice réparable est cantonné aux préjudices patrimoniaux résultant de dommages matériels ; la compétence est réservée aux TGI ; la procédure impose un premier jugement sur la responsabilité auxquels les victimes peuvent adhérer selon un principe d’ « opt in » dans un délai de 3 à 6 mois avant d’être indemnisées, le tribunal statuant ensuite sur les éventuelles difficultés d’exécution.

4. Un régime peu efficace.

Si l’action de groupe de droit commun est déjà très longue et complexe, ces travers sont encore renforcés en matière de concurrence. En ce domaine, la loi opte pour la formule de l’action consécutive (« follow-on »). La condamnation au titre de l’action de groupe ne peut intervenir qu’après une condamnation du professionnel par les autorités ou juridictions nationales ou de l’Union européenne qui constate les manquements au droit de la concurrence et qui n’est plus susceptible de recours pour la partie relative à l’établissement des manquements. La loi ne fait-elle pas naître de faux espoirs auprès des consommateurs ? En effet, une procédure de concurrence peut durer 5 ans, l’appel et la cassation peuvent prolonger la durée de la procédure de 3 ans ou plus ; si l’on y adjoint la procédure devant le TGI, la Cour d’appel et la Cour de cassation dans le cadre de la procédure civile, la superposition de ces procédures pourra prendre entre 15 et 20 ans. De telles durées,  déraisonnables, ne rendent service ni aux consommateurs ni aux entreprises. A cela s’ajoute la dispersion des actions entre plus de 160 TGI non spécialisés, alors que la concentration de la compétence aurait été plus efficace.

II. Une réforme discrète mais fondamentale : le nouveau droit des actions en dommages-intérêts en cas d’infraction au droit de la concurrence

5. L’instauration d’une présomption irréfragable de faute en cas de décision de l’AdlC ou d’une autorité de concurrence d’un autre Etat membre.

Jusqu’à présent, seule une décision de la Commission valait présomption de faute. Les décisions de l’AdlC, simple autorité administrative, ne liaient pas juridiquement les tribunaux (Cass. com., 27 févr. 2001, LawLex200202677JBJ ; 17 juill. 2001, LawLex200200095JBJ). Désormais, le manquement du professionnel constaté par une autorité nationale de concurrence établira de manière irréfragable la faute du professionnel dans le cadre du jugement sur la responsabilité.

6. Interruption de la prescription de l’action civile par l’ouverture d’une procédure de concurrence.

Désormais, la prescription de l’action civile est interrompue par l’ouverture d’une procédure devant l’AdlC, une autorité nationale d’un Etat membre ou la Commission, jusqu’à la date de la décision définitive. Il s’agit d’un changement radical du droit positif puisque jusqu’à présent l’action de concurrence n’interrompait pas l’action civile, entraînant régulièrement la prescription d’actions en responsabilité entamées tardivement (TGI Paris, 15 janv. 2009, LawLex2009000099JBJ ; 17 déc., LawLex201300001829JBJ).

7. Un risque général accru pour les entreprises.

Avant la loi Hamon, le risque d’action civile de concurrence était limité. En pratique, les actions étaient souvent prescrites ou faisaient l’objet de multiples contestations. Même si tous les obstacles à ces actions ne sont pas levés et si la procédure de l’action de groupe s’avère longue et complexe, les entreprises seront plus fréquemment exposées à un risque d’action civile en cas d’infraction au droit de la concurrence.